Justice ou miséricorde ?

La miséricorde divine face à l’enfer

Si Dieu est Amour, s’Il est vraiment un Père plein de tendresse « riche en miséricorde » (Ep 2, 4), s’Il veut pardonner à tout homme pécheur, comment peut-il y avoir un enfer ? L’existence d’un enfer non vide ne serait-elle pas la preuve d’une limite à la miséricorde divine, la preuve que la justice de Dieu s’oppose à sa miséricorde ?

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Si « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4), s’il veut que « tous parviennent à la conversion » (2 P 3, 9), l’enfer éternel est bien cependant une possibilité réelle enseignée par Jésus dans l’Évangile. Et cet enseignement n’aurait aucun sens si l’enfer n’existe pas ou si le danger qu’il nous fait courir est pratiquement nul : Jésus serait même alors un menteur ! Fidèles à l’enseignement de tout le Nouveau Testament, nous affirmons donc simultanément la réalité d’un Sauveur mort pour tous les hommes et la réalité d’un Jugement qui aboutit au salut des uns et à la damnation des autres.

Les Pères de l’Église ont toujours affirmé que la peine des damnés consiste principalement dans la privation de la vision de Dieu vers lequel ils se sentent pourtant irrésistiblement attirés. Mais il nous faut préciser que ce sont les hommes qui se damnent eux-mêmes en ne voulant pas accepter la miséricorde de Dieu. Ce n’est pas Dieu qui refuse d’aimer ceux qui ne l’ont pas aimé ! Car Dieu ne saurait haïr les damnés : sa miséricorde s’étend à toutes ses créatures, même à celles qui ne l’aiment pas, qui refusent son amour et qui, à cause de cela, se sont enfermées dans le royaume de la haine éternelle.

Le mystère de la liberté humaine

Dieu veut vraiment le salut de tous les hommes et leur donne sans cesse tous les moyens d’y parvenir, mais en même temps Il a créé l’homme libre et responsable, et Il respecte ses décisions. C’est donc l’homme lui-même qui, en pleine autonomie, s’exclut volontairement de la communion avec Dieu, si, jusqu’au moment de sa mort, il persiste dans le péché mortel, refusant l’amour miséricordieux de Dieu. L’amour infini de Dieu respecte ainsi la révolte infinie de l’homme, il respecte la liberté de l’homme de se révolter contre Dieu. Et en affirmant que l’enfer est un danger réel pour tous les hommes, l’enseignement du Nouveau Testament accorde finalement une grande importance à la liberté de l’homme et à sa responsabilité.

Oui, l’enfer est une peine éternelle des hommes dont les fautes sont commises dans le temps limité, et cela peut nous sembler injuste. Mais cela nous rappelle que notre liberté est exercée en vue de l’éternité, que nos fautes tout autant que nos actes de charité ont une conséquence qui peut marquer pour l’éternité : le péché mortel est une possibilité radicale de la liberté humaine comme l’amour lui-même, et « s’il n’est pas racheté par le repentir et le pardon de Dieu, il cause l’exclusion du Royaume du Christ et la mort éternelle de l’enfer, notre liberté ayant le pouvoir de faire des choix pour toujours, sans retour » (CEC 1861).

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« Il n’y a pas de limite à la miséricorde de Dieu, mais qui refuse délibérément d’accueillir la miséricorde de Dieu par le repentir rejette le pardon de ses péchés et le salut offert par l’Esprit Saint » (CEC 1864). L’enfer est bien le non pleinement assumé de l’homme devant lequel Dieu accepte de se retirer. Il n’est donc pas une punition, mais l’ultime conséquence du refus d’aimer et de se confier en la miséricorde divine. C’est pour cela que saint Jacques nous donne ce conseil : « Parlez et agissez comme des gens qui vont être jugés par une loi de liberté. Car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde, mais la miséricorde l’emporte sur le jugement. » (Jc 2, 12-13)

La Justice de Dieu dans le Jugement dernier

Dieu ne veut pas punir les pécheurs, au contraire il veut leur pardonner leurs péchés. S’Il condamne, Dieu condamne le péché, non le pécheur : le Seigneur reste le Sauveur de tous, même s’il se fait leur Juge. Mais au jour du jugement, Il ne pourra faire miséricorde à ceux qui ont refusé sa miséricorde, autrement Il ne serait pas juste, ne respectant pas la liberté de ceux qui l’ont refusé. N’allons donc pas croire que si Dieu punit les hommes, c’est pour « satisfaire » sa justice ! Car la justice de Dieu n’est pas de récompenser le bien et punir le mal, elle « désigne la rectitude de l’amour divin » (CEC 1991).

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Si la justice, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû, ne connaît pas la pitié, la justice de Dieu est telle que chacun de nous la mérite : elle est toujours juste et vraie en conséquence de ce que nous avons fait. Dieu seul, connaissant les profondeurs de nos faiblesses, peut nous juger justement. Nous-mêmes ne pouvons qu’accepter la juste sentence divine pour nos propres vies, souvent pécheresses. Mais si tout homme est pécheur, il n’y a pas de péché commis qui ne puisse être pardonné par Dieu. Et tant que nous vivons sur cette terre, il n’est jamais trop tard pour demander et recevoir le pardon de Dieu.

La justice de Dieu dans le Jugement dernier n’est donc pas fatale pour ceux qui qui recourent à sa miséricorde. Jésus ayant promis que quiconque recourrait à sa miséricorde ne serait pas perdu même s’il était un pécheur endurci, Il attend seulement de notre part une conversion vraiment profonde avec le repentir pour nos péchés, et une demande de pardon. Finalement, le concept même de justice s’étend au pardon de nos péchés, accordé en vertu de la mort et de la Résurrection de Jésus. Ainsi, « le Jugement dernier révèlera que la justice de Dieu triomphe de toutes les injustices commises par ses créatures et que son amour est plus fort que la mort » (CEC 1040).

Justice et miséricorde sont unies en Dieu

En Dieu, justice et miséricorde ne s’opposent pas, la miséricorde n’est pas une suspension de la justice. Au contraire, la justice éclaire ce que la miséricorde vient guérir, et quand Dieu fait miséricorde, c’est encore sa justice qui s’accomplit. Justice et miséricorde ne sont pas « deux aspects contradictoires, mais deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour » (Pape François, Misericordiae vultus, n°20). Miséricorde et justice sont donc deux aspects de l’amour de Dieu pour nous :

« Gardez-vous de croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble en effet qu’ils soient contradictoires […] Mais Dieu est tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans ses jugements il n’oublie point la miséricorde. Car […] il pardonne les fautes  à ceux qui se tournent vers lui, mais il les retient  à ceux qui ne se convertissent point. Est-il miséricordieux pour ceux qui sont injustes ? Abandonne-t-il pour cela sa justice, et doit-il confondre le juste avec l’injuste ? Vous paraîtrait-il juste de traiter de la même manière le pécheur qui se convertit et celui qui ne se convertit point, de faire le même accueil  à celui qui avoue ses fautes et à celui qui les déguise, à l’homme humble et à l’homme superbe ? Dieu donc exerce la justice, tout en faisant miséricorde, et dans cette justice, il exercera sa miséricorde. » (Saint Augustin, Ps 32, 2, 11)

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À la source de l’union de la justice et de la miséricorde en Dieu, se trouve le fait que Dieu a créé le monde et l’homme. Dieu aime sa création et veut à tout prix sauver son œuvre, Il nous aime et nous pardonne toujours quand nous le lui demandons en vérité, parce que le véritable amour ne punit pas mais pardonne. Dieu voit et connaît notre misère provoquée par notre péché, Il se laisse toucher par notre misère et veut nous en sauver. A cause de son grand amour pour nous, Dieu nous offre son pardon, le don de sa miséricorde. Finalement, la justice de Dieu est la miséricordieuse fidélité selon laquelle Dieu tient ses promesses de salut, elle est la manifestation de sa bonté, de sa miséricorde infinie : il est juste pour un Dieu infiniment miséricordieux de rester toujours fidèle à sa créature infidèle.

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